dimanche 16 septembre 2012

Projet de lettre ouverte au Premier ministre

Pendant le week-end qui précéda le Conseil interministériel du 6 septembre sur Marseille nous avons rédigé un projet de lettre ouverte au Premier Ministre pour la Confédération des CIQ.
Nous avons décidé de publier ce projet pour plusieurs raisons. Nous voulons montrer d'abord que le diagnostique fait, cette semaine, par  le Canard enchaîné et Marianne est partagé depuis longtemps par de nombreux présidents de CIQ, particulièrement ceux des zones sensibles. Ensuite que nous n'avons pas attendu des réunions au sommet pour savoir que faire pour nous en sortir et à quelle échelle il faut agir. Quand ils descendent à Marseille les Huiles devraient prendre rendez-vous avec la Confédération des CIQ ce serait plus efficace au lieu de faire le cirque médiatique où les élus tendent le cou pour être sur l'image. Nous voulons enfin contribuer au débat qui aura lieu, à la Foire de Marseille, samedi 22 septembre 2012 de 10 h à 12 h 30 "Délinquance, nouvelles mesures gouvernementales, quels impacts sur les habitants de la Métropole Marseillaise ?".



La délinquance à Marseille : répression, prévention et équité

Nous nous sommes inspirés du titre du rapport Bonnemaison de 1982 pour montrer d'une part que la délinquance dans la cité phocéenne particulièrement n'est pas une question nouvelle bien qu'elle ait achevé sa mutation depuis cette date et d'autre part que les réponses sont connues depuis longtemps. Si nous sommes obligés d'enjamber un agonisant transpercé de quatre projectiles devant notre boulangerie avenue Zenatti et à quelques mètres de l'école primaire de nos enfants c'est que nous subissons depuis bien longtemps l'incurie et la démagogie de tous les partis de l'échiquier politique, de l'extrême gauche à l'extrême droite. Sous la pression des récents événements abondamment médiatisés vous allez réunir cette semaine une conseil interministériel sur la délinquance à Marseille une façon de changer de musique après celle de la valse des Préfets de Police et des visites orchestrées des Ministres de l'Intérieur qui nous serinent sur l'ordre républicain dans les zones de non-droit. Nous ne sommes pas des spécialistes de la sureté mais des Marseillais fortement impliqués dans la vie sociale au sein de Comités d'intérêt de quartier, associations d'habitants jalouses de leur indépendance vis à vis des pouvoirs locaux depuis plus de 100 ans. A ce titre nous pouvons vous affirmer qu'il n'y a pas de fatalité. [...]


La lutte contre la délinquance est pour nous d'abord une compétence de la Police judiciaire, ses moyens doivent être renforcés afin qu'elle puissent mener des enquêtes en profondeur. S'il est hors de question de mêler l'armée à la lutte contre la délinquance il serait opportun de transférer les moyens technologiques utilisés à l'écoute, l'observation et à la localisation des caches d'armes, de drogue et de billets de banque. La Raison ne peut comprendre la détermination unanime des élus pendant dix ans pour doter nos armées de moyens humains et matériels contre une menace à 5500 kilomètres alors que nos fonctionnaires de Police courent après des véhicules en bon état et un appareil photographique performant.
Cette lutte est aussi une affaire de justice, il manque à Marseille une cellule judiciaire où quelques juges travaillent à plein temps sur les activités de ces caids des cités en collaboration avec un pool d'agents du fisc qui traquent l'argent de la drogue. La spécialisation est une nécessité. Les caïds, craignant d'abord de perdre l'argent qui les font accéder à la société de consommation, sont très mobiles face à la présence physique des forces de sécurité car c'est une économie informelle nomade très malléable exploitant les nouvelles technologies. Sans aucun doute une législation anti-mafia à l'italienne sur la confiscation des biens des criminels et de leurs complices dans la sphère politique et économique devrait être adoptées. Vous savez comme nous que la région PACA est gangrenée par une corruption mafieuse et les profits illicites considérables de la vente du cannabis alimenteront tôt ou tard, si ce n'est déjà le cas, le système clientéliste. Marseille est un port et une ville multiculturelle, cette criminalité a donc naturellement des ramifications en Europe du Sud et au Maghreb pour importer les produits stupéfiants, les armes et blanchir l'argent. Il est donc indispensable de renforcer la coopération internationale judiciaire et policière.

La répression à elle seule n'est pas une réponse. Des actions de prévention doivent être mises en place. Même s'il n'y a pas un lien automatique entre échec scolaire et délinquance nous pensons qu'une active politique éducative est une des solutions. Les moyens doivent être donnés pour une scolarisation dès trois ans. Le collège doit être réformé car c'est un moment crucial où la crise de l'adolescence combinée à d'autres causes comme le poids des modèles de consommation dont ils sont l'enjeu, des normes juvéniles et des groupes de pairs contribuent aux risques de décrochage et de déviance. La réponse n'est pas seulement à trouver dans les méthodes pédagogiques mais aussi dans l'accompagnement psychologique par un personnel spécialisé en nombre suffisant afin de surmonter les humiliations et les conflits dans le milieu scolaire et familial. Il en va de même de la formation professionnalisante qui doit prendre en compte les parcours scolaires atypiques faits de décrochages et de la non acquisition des fondamentaux. Dans cette optique il faut donner de véritables moyens aux missions locales et aux GRETA. Il y a une effort financier identique à faire pour ce public que pour leurs compatriotes de leur âge qui fréquentent les prépas.
La prévention passe aussi par la présence dans les quartiers afin de donner des alternatives aux modèles fournis par les bandes. Les médiateurs biens formés doivent être plus nombreux. Les clubs et les associations soutenus par les collectivités locales sur des critères non clientélistes doivent pouvoir utiliser des équipements même à des heures atypiques car les horaires des jeunes de plus de 14 ans ne cadrent pas avec le 9h-19h. L'ensemble des intervenants doit adhérer à une éthique et à une déontologie positive pour la jeunesse afin de contribuer à une revalorisation des valeurs rejetées et à l'adoption d'un nouveau style de vie permettant de sortir d'une assignation à résidence qui les rassure et où ils ont fait leur réputation.
La prévention concerne aussi les jeunes délinquants eux-mêmes. La prison n'est pas la solution. Nous sommes pour l'ouverture de centres d'éducation fermés de proximité qui ne doivent pas souffrir d'une logique budgétaire du moindre coût conduisant à des dérives. Ces centres ne peuvent pas être gérés par des associations ou des personnes privées incompétentes qui utilisent des méthodes éducatives en usage dans les bagnes d'enfants du XIX ème siècle. Il s'agit au contraire d'éduquer et de prendre en charge les blessures psychologiques de ces enfants. Il faut donc des professionnels expérimentés qui puissent travailler dans de bonnes conditions en synergie avec les juges pour enfants et la police ou la gendarmerie.
La prévention passe enfin par une politique de santé publique. La forte offre à portée de main nourrit l'importante demande de cannabis et inversement. Cet été il a été très courant de voir des adolescents et des jeunes adultes se rouler un joint sur les plages de Marseille dans l'indifférence générale. Pourtant les effets néfastes du cannabis sur les jeunes ne sont plus à démontrer, ils sont même cérébralement irréversibles. Il s'agit de ne pas tout miser sur la répression et donc d'agir pour faire parcourir à rebours le chemin par lequel la consommation de cannabis s'est enracinée dans toutes les classes sociales. Des actions ont fait leurs preuves dans plusieurs pays pour modifier les comportements, qui amènent les jeunes de commencer à fumer du cannabis ou d'en retarder le moment. Nous sommes persuadés que cette prévention doit être menée à l'échelle métropolitaine afin de gagner en efficacité.

L'équité est le troisième volet de cette nouvelle politique sur Marseille. La rénovation urbaine ne doit pas s’essouffler. Aucun quartier sensible ne doit être sacrifié car l'état de bâti même dans les HLM des quartiers sud de Marseille est dans un état lamentable. Cependant il faut sortir de la logique de la destruction des ensembles car il est traumatisant pour des habitants qui y résident depuis longtemps. Ces programmations de destruction font en outre parfois l'objet, entre le bailleur social et les politiques, de marchandages très éloignés de l'intérêt général et pire, le relogement est largement improvisé.
Il faut radicalement changer les us et coutumes des bailleurs sociaux contrôler par les élus. Il y a pour les habitants des ruptures d'égalité. Selon eux ces organismes serviraient trop souvent de sinécures et d'outils pour le clientélisme. L'attribution des logements serait une boîte noire où règnerait le piston et parfois la corruption pour faire monter le dossier en haut de la pile. La mauvaise gestion de l'offre de logements adaptés à la taille des ménages dans le temps et l'impossibilité d'une trajectoire résidentielle afin d'améliorer le destin des enfants provoquent une résignation dans la souffrance. Il est impératif d'élargir l'offre sur tout le territoire métropolitain et d'empêcher des communes et des arrondissements de s'exonérer de leurs obligations en matière de logement social et d'accession à la propriété. Le HLM de la cité ne doit plus être le seul horizon envisageable et le seul cadre de vie possible. C'est ce processus qui amène aussi les jeunes à revendiquer la cité comme un territoire identitaire où la Police est l'ennemi.
Les bailleurs sociaux, considérant que les habitants n'ont pas intégré les vertus civiques, rechignent à agir pour améliorer le cadre de vie et laissent se développer une gestion locale mafieuse des parties communes. Il n'est pas rare que des familles règnent sur des blocs en décidant qui peut venir y habiter. Les bailleurs sociaux renâclent aussi à travailler sur l'amélioration de la gestion des déchets afin que les encombrants et les détritus ne souillent pas le quotidien des habitants des quartiers. Quelques fois cela va plus loin, des cités entières n'ont plus d'éclairage public depuis des décennies sous prétexte qu'il a été vandalisé. La mauvaise volonté, pour le même prétexte d'incivisme atavique des populations des quartiers sensibles, s'observe dans l'action des collectivités territoriales au niveau de la propreté, du développement culturel et des transports publics. La RTM refuse de restaurer des liaisons en fin de journée car il y a des années des incidents se sont produits sur la ligne. De même, il faut se battre pour que les quartiers soient dotés d'abris bus. Les habitants en sont réduits à s'asseoir par terre sous le soleil. Cette mauvaise volonté nourrit aussi le sentiment d'humiliation qui participe à l’émergence d'une délinquance de plus en plus juvénile.


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