Pendant le week-end qui précéda le Conseil interministériel du 6 septembre sur Marseille nous avons rédigé un projet de lettre ouverte au Premier Ministre pour la Confédération des CIQ.
Nous avons décidé de publier ce projet pour plusieurs raisons. Nous voulons montrer d'abord que le diagnostique fait, cette semaine, par le Canard enchaîné et Marianne est partagé depuis longtemps par de nombreux présidents de CIQ, particulièrement ceux des zones sensibles. Ensuite que nous n'avons pas attendu des réunions au sommet pour savoir que faire pour nous en sortir et à quelle échelle il faut agir. Quand ils descendent à Marseille les Huiles devraient prendre rendez-vous avec la Confédération des CIQ ce serait plus efficace au lieu de faire le cirque médiatique où les élus tendent le cou pour être sur l'image. Nous voulons enfin contribuer au débat qui aura lieu, à la Foire de Marseille, samedi 22 septembre 2012 de 10 h à 12 h 30 "Délinquance, nouvelles mesures gouvernementales, quels impacts sur les habitants de la Métropole Marseillaise ?".
La
délinquance à Marseille : répression, prévention et équité
Nous
nous sommes inspirés du titre du rapport Bonnemaison de 1982 pour
montrer d'une part que la délinquance dans la cité phocéenne
particulièrement n'est pas une question nouvelle bien qu'elle ait
achevé sa mutation depuis cette date et d'autre part que les
réponses sont connues depuis longtemps. Si nous sommes obligés
d'enjamber un agonisant transpercé de quatre projectiles devant
notre boulangerie avenue Zenatti et à quelques mètres de l'école
primaire de nos enfants c'est que nous subissons depuis bien
longtemps l'incurie et la démagogie de tous les partis de
l'échiquier politique, de l'extrême gauche à l'extrême droite.
Sous la pression des récents événements abondamment médiatisés
vous allez réunir cette semaine une conseil interministériel sur la
délinquance à Marseille une façon de changer de musique après
celle de la valse des Préfets de Police et des visites orchestrées
des Ministres de l'Intérieur qui nous serinent sur l'ordre
républicain dans les zones de non-droit. Nous ne sommes pas des
spécialistes de la sureté mais des Marseillais fortement impliqués
dans la vie sociale au sein de Comités d'intérêt de quartier,
associations d'habitants jalouses de leur indépendance vis à vis
des pouvoirs locaux depuis plus de 100 ans. A ce titre nous pouvons
vous affirmer qu'il n'y a pas de fatalité. [...]
La
lutte contre la délinquance est pour nous d'abord une compétence de
la Police judiciaire, ses moyens doivent être renforcés afin
qu'elle puissent mener des enquêtes en profondeur. S'il est hors de
question de mêler l'armée à la lutte contre la délinquance il
serait opportun de transférer les moyens technologiques utilisés à
l'écoute, l'observation et à la localisation des caches d'armes, de
drogue et de billets de banque. La Raison ne peut comprendre la
détermination unanime des élus pendant dix ans pour doter nos
armées de moyens humains et matériels contre une menace à 5500
kilomètres alors que nos fonctionnaires de Police courent après des
véhicules en bon état et un appareil photographique performant.
Cette
lutte est aussi une affaire de justice, il manque à Marseille une
cellule judiciaire où quelques juges travaillent à plein temps sur
les activités de ces caids des cités en collaboration avec un pool
d'agents du fisc qui traquent l'argent de la drogue. La
spécialisation est une nécessité. Les caïds, craignant d'abord de
perdre l'argent qui les font accéder à la société de
consommation, sont très mobiles face à la présence physique des
forces de sécurité car c'est une économie informelle nomade très
malléable exploitant les nouvelles technologies. Sans aucun doute
une législation anti-mafia à l'italienne sur la confiscation des
biens des criminels et de leurs complices dans la sphère politique
et économique devrait être adoptées. Vous savez comme nous que la
région PACA est gangrenée par une corruption mafieuse et les
profits illicites considérables de la vente du cannabis alimenteront
tôt ou tard, si ce n'est déjà le cas, le système clientéliste.
Marseille est un port et une ville multiculturelle, cette criminalité
a donc naturellement des ramifications en Europe du Sud et au Maghreb
pour importer les produits stupéfiants, les armes et blanchir
l'argent. Il est donc indispensable de renforcer la coopération
internationale judiciaire et policière.
La
répression à elle seule n'est pas une réponse. Des actions de
prévention doivent être mises en place. Même s'il n'y a pas un
lien automatique entre échec scolaire et délinquance nous pensons
qu'une active politique éducative est une des solutions. Les moyens
doivent être donnés pour une scolarisation dès trois ans. Le
collège doit être réformé car c'est un moment crucial où la
crise de l'adolescence combinée à d'autres causes comme le poids
des modèles de consommation dont ils sont l'enjeu, des normes
juvéniles et des groupes de pairs contribuent aux risques de
décrochage et de déviance. La réponse n'est pas seulement à
trouver dans les méthodes pédagogiques mais aussi dans
l'accompagnement psychologique par un personnel spécialisé en
nombre suffisant afin de surmonter les humiliations et les conflits
dans le milieu scolaire et familial. Il en va de même de la
formation professionnalisante qui doit prendre en compte les parcours
scolaires atypiques faits de décrochages et de la non acquisition
des fondamentaux. Dans cette optique il faut donner de véritables
moyens aux missions locales et aux GRETA. Il y a une effort financier
identique à faire pour ce public que pour leurs compatriotes de leur
âge qui fréquentent les prépas.
La
prévention passe aussi par la présence dans les quartiers afin de
donner des alternatives aux modèles fournis par les bandes. Les
médiateurs biens formés doivent être plus nombreux. Les clubs et
les associations soutenus par les collectivités locales sur des
critères non clientélistes doivent pouvoir utiliser des équipements
même à des heures atypiques car les horaires des jeunes de plus de
14 ans ne cadrent pas avec le 9h-19h. L'ensemble des intervenants
doit adhérer à une éthique et à une déontologie positive pour la
jeunesse afin de contribuer à une revalorisation des valeurs
rejetées et à l'adoption d'un nouveau style de vie permettant de
sortir d'une assignation à résidence qui les rassure et où ils ont
fait leur réputation.
La
prévention concerne aussi les jeunes délinquants eux-mêmes. La
prison n'est pas la solution. Nous sommes pour l'ouverture de centres
d'éducation fermés de proximité qui ne doivent pas souffrir d'une
logique budgétaire du moindre coût conduisant à des dérives. Ces
centres ne peuvent pas être gérés par des associations ou des
personnes privées incompétentes qui utilisent des méthodes
éducatives en usage dans les bagnes d'enfants du XIX ème siècle.
Il s'agit au contraire d'éduquer et de prendre en charge les
blessures psychologiques de ces enfants. Il faut donc des
professionnels expérimentés qui puissent travailler dans de bonnes
conditions en synergie avec les juges pour enfants et la police ou la
gendarmerie.
La
prévention passe enfin par une politique de santé publique. La
forte offre à portée de main nourrit l'importante demande de
cannabis et inversement. Cet été il a été très courant de voir
des adolescents et des jeunes adultes se rouler un joint sur les
plages de Marseille dans l'indifférence générale. Pourtant les
effets néfastes du cannabis sur les jeunes ne sont plus à
démontrer, ils sont même cérébralement irréversibles. Il s'agit
de ne pas tout miser sur la répression et donc d'agir pour faire
parcourir à rebours le chemin par lequel la consommation de cannabis
s'est enracinée dans toutes les classes sociales. Des actions ont
fait leurs preuves dans plusieurs pays pour
modifier les
comportements, qui amènent les jeunes de commencer à fumer du
cannabis ou d'en retarder le moment. Nous sommes persuadés que cette
prévention doit être menée à l'échelle métropolitaine afin de
gagner en efficacité.
L'équité
est le troisième volet de cette nouvelle politique sur Marseille. La
rénovation urbaine ne doit pas s’essouffler. Aucun quartier
sensible ne doit être sacrifié car l'état de bâti même dans les
HLM des quartiers sud de Marseille est dans un état lamentable.
Cependant il faut sortir de la logique de la destruction des
ensembles car il est traumatisant pour des habitants qui y résident
depuis longtemps. Ces programmations de destruction font en outre
parfois l'objet, entre le bailleur social et les politiques, de
marchandages très éloignés de l'intérêt général et pire, le
relogement est largement improvisé.
Il
faut radicalement changer les us et coutumes des bailleurs sociaux
contrôler par les élus. Il y a pour les habitants des ruptures
d'égalité. Selon eux ces organismes serviraient trop souvent de
sinécures et d'outils pour le clientélisme. L'attribution des
logements serait une boîte noire où règnerait le piston et parfois
la corruption pour faire monter le dossier en haut de la pile. La
mauvaise gestion de l'offre de logements adaptés à la taille des
ménages dans le temps et l'impossibilité d'une trajectoire
résidentielle afin d'améliorer le destin des enfants provoquent une
résignation dans la souffrance. Il est impératif d'élargir l'offre
sur tout le territoire métropolitain et d'empêcher des communes et
des arrondissements de s'exonérer de leurs obligations en matière
de logement social et d'accession à la propriété. Le HLM de la
cité ne doit plus être le seul horizon envisageable et le seul
cadre de vie possible. C'est ce processus qui amène aussi les jeunes
à revendiquer la cité comme un territoire identitaire où la Police
est l'ennemi.
Les
bailleurs sociaux, considérant que les habitants n'ont pas intégré
les vertus civiques, rechignent à agir pour améliorer le cadre de
vie et laissent se développer une gestion locale mafieuse des
parties communes. Il n'est pas rare que des familles règnent sur des
blocs en décidant qui peut venir y habiter. Les bailleurs sociaux
renâclent aussi à travailler sur l'amélioration de la gestion des
déchets afin que les encombrants et les détritus ne souillent pas
le quotidien des habitants des quartiers. Quelques fois cela va plus
loin, des cités entières n'ont plus d'éclairage public depuis des
décennies sous prétexte qu'il a été vandalisé. La mauvaise
volonté, pour le même prétexte d'incivisme atavique des
populations des quartiers sensibles, s'observe dans l'action des
collectivités territoriales au niveau de la propreté, du
développement culturel et des transports publics. La RTM refuse de
restaurer des liaisons en fin de journée car il y a des années des
incidents se sont produits sur la ligne. De même, il faut se battre
pour que les quartiers soient dotés d'abris bus. Les habitants en
sont réduits à s'asseoir par terre sous le soleil. Cette mauvaise
volonté nourrit aussi le sentiment d'humiliation qui participe à
l’émergence d'une délinquance de plus en plus juvénile.
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